Pierre-Edouard Batard et Isabelle Ferrand
Le Crédit Mutuel : une Confédération à deux voix et à deux genres
Le Directeur général d'un groupe bancaire qui part trois mois en congé parental ; une femme qui assumera totalement la direction générale en son absence ; un comité de direction à majorité féminine ; sans nier qu'il a toujours des efforts à faire en matière d'égalité femmes-hommes, le Crédit mutuel peut afficher sa modernité ! Échanges croisés entre Pierre-Édouard Batard, le futur heureux papa, et Isabelle Ferrand, directrice adjointe qui, avec trois enfants, a déjà connu la joie de la maternité... et la manière de l'accommoder avec une carrière professionnelle réussie.
P.-E. Batard :
Lorsque j'ai été nommé directeur général, j'ai voulu constituer un binôme qui ait une vraie complémentarité. Isabelle avait une connaissance intime du Crédit Mutuel et une profonde expertise. Le fait qu'elle soit une femme a été un atout supplémentaire car j’avais la volonté politique d’œuvrer pour la parité... Mais ce n'est pas simplement parce que c'est une femme qu'elle a été choisie ! Je ne suis pas convaincu qu'il y ait, au niveau professionnel, des sensibilités ou aptitudes liées au genre...
I. Ferrand :
En tout cas, on m'a posé plusieurs fois la question : « Tu as été choisie parce que tu es une femme ? » Nos complémentarités ne sont pas de cet ordre. Pierre-Edouard apporte une vision à long terme, moi j'ai entre autres une fibre mutualiste et l'expérience bancaire liée à mon historique. Nous ne partageons pas toujours la même vision et n'avons pas la même sensibilité. Mais nous échangeons énormément pour prendre des positions que nous pouvons alors mieux expliquer, en particulier au sein du comité de direction qui rassemble autour de nous les directeurs et directrices de la Confédération Nationale du Crédit Mutuel. Soit 3 directeurs et 5 directrices – un équilibre qui n'était pas celui-ci il y a encore quelques années... Il y a dix ans j'étais même la seule directrice !
P.-E. B. : Notre binôme est aussi symbolique pour donner un élan à la question de l'égalité femmes-hommes. Si parmi les salarié(e)s du groupe, il y a une majorité de femmes, elles sont toujours sous-représentées dans les fonctions de direction... On se coupe ainsi d'un vivier de talents et c'est bien dommage. Nous voulons progresser vers la parité. Nous l'affichons et l’assumons, y compris avec des objectifs quantitatifs dans nos plans stratégiques. C'est une démarche au long cours parce qu'il y a un historique, mais sans politique volontariste, y compris chiffrée, les choses ne se feront pas naturellement. En outre, plus qu'avant, les jeunes (et des moins jeunes aussi !) que nous voulons recruter affirment leurs attentes sociétales et leur intérêt pour les valeurs mutualistes du groupe. Ce sont des candidatures de conviction, et c'est assez nouveau. Il nous faut répondre à cette quête de sens et d’éthique qui rejoint les attentes plus générales de la société.
I. F. : Sur la question de la parité, des index sont publiés, connus des directeurs et dont la direction des Ressources humaines veille à respecter les critères, en particulier sur les augmentations salariales individuelles pour contribuer à réduire au maximum les inégalités. En plus de nos engagements RH, nous en rendons compte aussi au conseil d'administration et aux sociétaires ainsi que dans la déclaration de performance extra financière du groupe. Dans les fédérations (la gouvernance du Crédit Mutuel est décentralisée et autonome), des actions sont également menées par exemple pour lutter contre les stéréotypes de genre. Ce combat est aussi culturel !
P.-E. B. : Ce qui nous différencie en tant qu'entreprise coopérative c'est que nous sommes détenus à 100% par nos clients. Nous pouvons donc avoir une stratégie dans la durée et réconcilier plus aisément les attentes sociétales portées par nos sociétaires et les choix de l'entreprise. Une majorité de nos fédérations viennent d'ailleurs d’adopter le statut d'entreprise à mission et ont consacré une mission (sur 5) à la lutte contre toute discrimination. La prochaine étape est, au-delà de la parité au sein des équipes salariées, celle de notre gouvernance. Nous avons 8 millions de sociétaires et 22 000 élus. Parmi eux, nous avons un déficit de femmes représentant nos sociétaires dans les conseils d'administration. Là aussi nous devrons progresser sensiblement pour améliorer la représentativité de nos élus. Ma conviction est que les entreprises qui réussiront demain sont celles qui aligneront pleinement leurs pratiques et leurs engagements sociétaux.
I. F. : En prenant un congé parental de trois mois pour accueillir son enfant, Pierre-Edouard affiche aussi cet engagement (même si ce n'est pas que pour cela qu'il le fait !). Il me confie pleinement les rênes de la Confédération Nationale du Crédit Mutuel durant cette période. Cette démarche personnelle de futur papa et sa conséquence (que la CNCM aura, même si ce n'est que temporaire, pour la première fois de son histoire une femme à sa tête) constituent un beau symbole dont je suis ravie !
Parcours
Pierre-Édouard Batard, ingénieur et économiste de formation, a rejoint le Crédit Mutuel en 2017 après différents postes dans des cabinets ministériels (Travail et Finances). D'abord directeur adjoint de la Confédération nationale du Crédit Mutuel, sa rencontre avec cette banque a été « un vrai coup de cœur ». En mars 2019, on lui en confie la direction générale. La naissance de son premier enfant est prévue en avril.
Isabelle Ferrand a une carrière plus longue au sein de la banque mutualiste. D'abord chargée de l'inspection interne, ce qui l'oblige à être en déplacement la moitié de l'année, on lui propose un poste moins mobile au sein de la direction financière après sa première grossesse (« Mais ce n'était pas un placard ! » tient-elle à assurer). Elle y progressera jusqu’à devenir directrice financière, avant d'accepter la proposition de devenir DG adjointe, constituant avec le DG le premier binôme mixte de la Confédération.