Le mouvement coopératif, une influence mondiale !
La petite coopérative qui irrigue l'économie de son village en est-elle toujours consciente ? Elle appartient à un réseau bien plus large, national, européen et même mondial ! Elle constitue une pièce du vaste mouvement des coopératives qui réunit sur la planète un milliard de personnes membres de trois millions de coopératives. Un réseau impressionnant qui est de nature à porter l'espoir d'une société plus juste où globalisation pourrait rimer avec solidarité et coopération.
Cette histoire internationale commence véritablement en 1895 lorsqu'est créée à Londres l'Alliance coopérative internationale. Cette naissance avait été préparée pendant une dizaine d'années par de nombreux échanges en particulier entre coopérateurs anglais et français. Aujourd'hui, l'ACI compte 318 organisations de 112 pays, de tous les secteurs de l’économie. Cependant, le poids de chaque nation dans le paysage coopératif mondial est très variable. Fruit de son histoire et de la place considérable de ses secteurs commercial, agro-alimentaire et bancaire, la coopération française constitue un poids lourd mondial. Parmi les 100 plus grosses entreprises coopératives du monde, la France se taille la part du lion avec 25 % de leur chiffre d'affaires global (et 36,6 % du top 100 européen). En termes d'emplois, elle arrive en seconde position avec plus de 600 000 salariés du top 100 mondial, juste après l'Allemagne (850 000 salariés).
Principes coopératifs
Pour autant l'ACI n'est pas trustée par quelques grandes puissances coopératives et vise bien à représenter toutes les coopératives de tous les pays. Elle a su ainsi, au cours de son histoire, tenir bon une « neutralité » (aujourd'hui redéfinie en termes d' « indifférence politique ») qui lui a permis de réunir coopératives des pays communistes comme celles des pays à économie capitaliste pendant la Guerre froide et d'être le lieu permanent d'une concertation et d'un lobbying politique au service de cette forme d’entreprenariat. Dès 1919, elle est associée à l’Organisation internationale du travail (OIT) dont le premier président, Albert Thomas, était un de ses membres éminents. En 1945, elle est incluse dans les 46 ONG reconnues par le Conseil économique et social de l'Organisation des Nations-Unies. Des lieux stratégiques dans lesquels elle peut défendre ses valeurs résumées en 7 principes, révisés lors de son centenaire en 1995. Parmi ceux-ci, le septième, « l'engagement envers la communauté », affiche sa dimension sociale et politique : « Les coopératives contribuent au développement durable de leur communauté dans le cadre d'orientations approuvées par leurs membres. » L'ancrage local des coopératives est ainsi relié à un cadre plus vaste qui les dépasse largement mais dont elles sont solidaires. Comme l'indique l'Alliance dans ses Notes d'orientation pour les principes coopératifs, « seules, les coopératives ne peuvent pas atteindre l’objectif de développement durable de leurs communautés ; elles doivent conclure des accords et collaborer avec d’autres organisations, y compris des gouvernements. » C'est dire la nécessité de leur engagement sociétal à tous les niveaux.
Représentations
Concrètement, pour ce qui est de la France, les coopératives réunies au sein de Coop FR (et avant lui du GNC, le Groupement national de la coopération) ont toujours été représentées au conseil d'administration de l'ACI qui fut elle-même présidée par un Français, Roger Kerinec, de 1975 à 1984. C'est dans cette filiation que s'inscrit en 2022 la candidature de Jean-Louis Bancel à la présidence de l'ACI. La multiplication des lieux de décision et de pouvoir induit d'être présents en moult endroits. Ainsi, la montée en puissance et la construction européenne nécessitent une structuration continentale du mouvement coopératif avec Cooperatives Europe. En 2012, l'ONU décrète l'année internationale des coopératives autour du slogan : « Les coopératives, des entreprises pour un monde meilleur. » Autour du G20, se crée un B20 qui regroupe quelques centaines de représentants des entreprises : là encore les coopératives tiennent leur place et peuvent faire des recommandations directes aux gouvernements du G20.
Veille et vigilance
Des présences qui sont indispensables pour défendre un modèle que la financiarisation des économies et le rouleau compresseur du libéralisme auraient vite tendance à ignorer. De 2002 à 2004, un combat est mené au niveau européen pour défendre la spécificité des coopératives au moment où les normes comptables internationales veulent transformer le capital de ces sociétés en « dettes » sous prétexte que la liberté d'entrée et de sortie des membres (principe coopératif n°1) pourrait se traduire par le retrait du capital de ceux-ci ! « Qui aurait imaginé que sous un ensemble imposant (plus de 2500 pages) de normes comptables, destinées aux sociétés cotées et aux analystes financiers, se cachaient quelques lignes qui remettaient en cause la viabilité des coopératives au niveau mondial ? » La mobilisation des instances coopératives internationales ont réussi à convaincre les comptables de leur mésinterprétation... Mais l'histoire, racontée par Jean-Claude Detilleux et Caroline Naett, montre que la vigilance est de rigueur : « La plupart du temps, les problèmes posés pour les coopératives par la rédaction des textes ne résultent pas d'une intention délibérée du législateur, mais de la simple méconnaissance du fait coopératif, donc de son absence totale de prise en compte lors de l'élaboration des textes. » Ce qui justifie un travail de veille, de surveillance et d'intervention quasi permanent que les organisations nationales, européennes et internationales sont quasiment les seules à pouvoir faire.
L'identité coopérative en question
Le constat de Charles Gide en 1921 (« Ni l'opinion publique, ni la presse, ni les économistes n'ont accordé au mouvement coopératif l'attention qui lui est due ») demeure valable. Dans les années 2000, Jean-Claude Detilleux, alors président du GNC, constatait encore « la profonde méconnaissance du modèle et de la réalité coopérative », phénomène qui concerne aussi la recherche et l'enseignement. Il concluait néanmoins en disant que « rassemblées, les coopératives peuvent et savent se faire entendre. La banalisation n'est pas inéluctable. Affirmer son identité, ses valeurs et exiger de pouvoir entreprendre autrement ne sont pas des demandes d'un autre âge. » 20 ans plus tard, la question de l'identité coopérative est à nouveau au cœur des réflexions de l'ACI. Le mouvement coopératif a décidé de lancer un travail approfondi sur son identité. Toutes les coopératives sont invitées à y participer, de la plus petite à la plus grosse, à travers une enquête visant à recueillir les réflexions des coopérateurs et coopératrices du monde entier. « Notre identité coopérative n’a jamais été plus importante qu'en temps de crise » déclare Alexandra Wilson, présidente du groupe consultatif sur l'identité coopérative de l'ACI. Ce groupe examinera attentivement les contributions reçues et déterminera quelles mesures peuvent être prises pour clarifier l'objectif essentiel et la nature des coopératives et renforcer leur capacité à contribuer à la construction d'un monde meilleur. Voilà un sacré défi au moment où de plus en plus de personnes aspirent à dessiner un « monde d'après » qui ne soit pas une resucée du « monde d'avant »...