La recherche pour accompagner les coopératives et les entreprises de l’ESS face aux grands défis
Face aux grands défis et aux différentes transitions, environnementales, sociétales, le mouvement coopératif et l’économie sociale et solidaire (ESS) doivent soutenir la recherche académique. Sous peine de se banaliser et de disparaître.
Coop FR et AgroParistech ont célébré le centenaire de la revue scientifique française Recma le 8 juillet, à l’occasion de la conférence recherche 2021 du comité de recherche Europe de l’Alliance coopérative internationale. Une table ronde passionnante sur l’utilité de la recherche pour les mouvements coopératifs et de l’économie sociale et solidaire, notamment au travers des revues académiques ESS.
Dans leur introduction, Caroline Naett, secrétaire générale, et Maryline Filippi, chercheuse associée INRAE et AgroParisTech ont salué l’originalité de la revue Recma qui anticipe souvent les innovations et expérimentations observées au niveau national et international, sur le terrain.
« La Recma accompagne et encourage l’évolution et l’adaptation constante des entreprises coopératives aux enjeux de la société. », Caroline Naett, secrétaire générale de Coop FR
« La Recma a su garder l’équilibre entre l’exigence des recherches académiques et le lien avec les praticiens et les forces vives de l’Économie sociale et solidaire. », Maryline Filippi, chercheuse associée INRAE AgroParisTech, Université de Paris Saclay, Professeure d’économie à Bordeaux Sciences Agro, Université de Bordeaux
Réunis autour de Jean-François Draperi, rédacteur en chef de la Recma, sociologue et maître de conférence au Cnam :
- Rafael Chavez Professeur d’Université, département d’économie appliquée (politique économique), IUDESCOOP et Ciriec, Université de Valence, Espagne
- Hagen Henry, Journal international du droit coopératif, docteur et professeur de droit à l'Université d'Helsinki, ancien chef du service des coopératives de l'OIT
- Roger Spear, professeur émérite d’entrepreneuriat social, membre du comité scientifique du Ciriec, et membre fondateur du réseau de recherche EMES sur l'entreprise sociale ; Open University ; Université de Roskilde (Copenhague, Danemark)
Les grands défis des coopératives
Les coopératives, et plus largement l’ESS, ont toujours été à l’avant-garde des grandes innovations sociales et sociétales. Face aux nouveaux défis, vieillissement de la population, changement climatique, révolution numérique, etc., elles doivent démontrer leur capacité historique à répondre aux besoins de la société, nous dit Rafael Chavez. Les principaux enjeux contemporains des coopératives consistent à leur capacité à polliniser les autres sociétés, à organiser des solidarités et mettre en place des réponses socialement acceptables. Sans perdre leur propre identité.
Pour Hagen Henry, spécialiste du Droit coopératif, l’un des enjeux essentiels auxquels doivent faire face les coopératives est l’égalité de traitement des formes d’entreprises. Contrairement aux sociétés commerciales, les coopératives ne sont pas présentes dans la recherche et l’enseignement. « Nous payons très cher ces manquements ! »
Les gouvernements ne respectent pas les normes mondiales qui visent à garantir la diversité des entreprises et des réponses face à des besoins très divers. La recommandation 193 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) de 2002, unanimement approuvée à l’époque par les Etats membres, confirme à plusieurs reprises et sous diverses formes l’importance du rôle que jouent les coopératives dans le développement économique et social. Pourtant, nous ne réussissons pas collectivement à faire aboutir cette recommandation auprès de gouvernements qui devraient inclure le sujet des coopératives à tous les niveaux de la société, notamment la recherche et l’éducation.
Autre grand défi pour les coopératives, et c’est Roger Spear, spécialiste britannique de l’entrepreneuriat social, qui l’aborde : elles doivent trouver leur place au sein de l’ESS et de l’entrepreneuriat social. L’exemple des différentes attaques de démutualisation des coopératives britanniques est un risque auquel elles doivent répondre par une amélioration de leurs pratiques de gouvernance.
Les coopératives ont su aborder les questions de globalisation et d’enjeux locaux, elles doivent aujourd’hui construire un nouveau coopérativisme, pour faire face à l’économie de la surveillance, de la certification, à la culture de la notation, défavorables à la connaissance.
La production de connaissances universitaires doit permettre de répondre aux nombreux défis. La recherche n’est pas que production de connaissance mais dépositaires d’une connaissance.
Construire la connaissance : un antidote aux fake news !
Si en France la production de connaissance a historiquement reposé sur un réseau de praticiens engagés (Jean-Baptiste Godin, Jacques Moreau) et quelques chercheurs extrêmement engagés (Charles Gide, Henri Desroches), peut-on aujourd’hui produire une revue scientifique coopérative ? Oui, répond Jean-François Draperi, mais en animant un réseau de praticiens engagés.
Contribuer à la construction d’un imaginaire social scientifique, c’est à la fois être sur la réalité, être prospectif et prescriptif, selon Rafael Chavez. Un antidote aux fake news !
Une gageure : les secteurs de l’ESS et coopératif ne sont pas de grands financeurs de la connaissance scientifique. Certains réseaux ont recours à des grands cabinets de consultants pour légitimer leur modèle ! Le risque : paralyser la production de connaissance, voire détruire une revue scientifique, dépositaire de la connaissance des modèles coopératifs et d’économie sociale et solidaire.
La production de connaissance doit changer, selon Hagen Henry. « Nous vivons dans un monde (ESS) où l’accent est mis sur l’entrepreneuriat social, solidaire. Les coopératives doivent retrouver une place distincte. » L’objectif des coopératives est économique, social et culturel, il ne se réduit pas à un collectif.
Faut-il produire un changement global ?
Pour Roger Spear, nous devons promouvoir les enseignements de Facebook ! Nous avons besoin de nouveaux canaux de connaissances, d’identifier des questions clés, les théories et les enjeux et de créer des communautés. Il faut de véritables ponts entre les revues scientifiques et les praticiens. En cela, la Recma est un modèle à suivre.
Sur le fond, les chercheurs ont un esprit critique et un attachement à la production, sans « fake » ni idéologie mais il existe de nombreuses façons d’être chercheur, de poser les questions. Aujourd’hui, nous sommes face à des questions théoriques et pratiques complexes. Quand Charles Gide et Bernard Lavergne fonde la Recma en 1921, 300 universitaires français appuient cette initiative. Alors même que les économistes étaient déjà anti-coopérative ! Le thème n’est pas nouveau. Jean-François Draperi invite les chercheurs au sein du comité de recherche de l’Alliance coopérative internationale à créer un groupe de réflexion sur ces sujets pour renforcer le globalisme et le localisme des recherches engagées et des pratiques innovantes de la coopération.
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