Jean-Pierre Champion

Le numéro 1 du marché de l'optique en France n'a pas été épargné par la crise sanitaire. Pourtant, dès 2021, il avait réussi à dépasser de 5% son chiffre d'affaires de 2019 ! Retour sur une crise pleine d'enseignements.

Pour un groupe comme le vôtre comment s'est passé la crise sanitaire ?

En 2020, nos 1450 magasins et notre usine de production de verres installée en France ont fermé deux mois. En 2021, 180 magasins ont été fermés pendant 3 mois et demi, et dans plus de 60 le passe sanitaire a été rendu obligatoire... Il a fallu absorber ce choc qui a commencé avant le Covid avec une pénurie sur les achats dès janvier 2020. Nous étions donc déjà sur le pied de crise lorsque la situation nouvelle créée par la pandémie est arrivée. Nous avons aussitôt travaillé à distance en mode visio et télétravail et, pour amortir le choc pour nos associés, supprimé les cotisations pendant deux mois, changé les modalités de règlement et négocié avec nos fournisseurs pour alléger la trésorerie des magasins. Puis, nous avons préparé la sortie du confinement en faisant le choix du protocole sanitaire le plus sévère du secteur et institué la prise de rendez-vous systématique avec nos clients, alors qu'en temps normal ce mode de vente était marginal. Résultat : en planifiant chaque rendez-vous, nous avons réussi à faire 120 % de notre activité à la reprise avec 20 % de trafic en moins. Nous avons ainsi limité la baisse de notre chiffre d'affaires : au lieu de 17 à 18 %, il n'a baissé que de 9 % en 2020. Certains magasins ont innové en ouvrant des kiosques, en s'installant dans d'autres magasins, dans une pizzeria ou un bus ! Quant à notre usine, réouverte une semaine avant la fin du confinement, en mettant les bouchées doubles, elle a réalisé en 2020 le même chiffre d'affaires qu'en 2019.

Quelles leçons en tirez-vous ?

Pour préparer la sortie de la pandémie, nous avons décidé de lancer un « plan Marshall » d'investissement de plusieurs millions d'euros avec un volet « magasin » et un volet « industriel ». Les leçons de la crise se traduisent par des orientations concrètes : relocaliser encore plus notre production de verres ; rendre l'outil informatique opérable en dehors de nos magasins ; se réapproprier davantage les commerces de proximité (c'est une demande forte des consommateurs) et systématiser la prise de rendez-vous qui a prouvé son efficacité pour arriver, après la crise, à 50% de trafic planifié. Avec ce système où les rendez-vous se tenaient en temps et en heure, les collaborateurs étaient beaucoup plus sereins, l'aléa était moindre, le client n'avait pas à attendre ; tout le monde s'y retrouvait. Et en 2021, nous avons ouvert 78 nouveaux magasins. C'est dire que la crise ne nous a pas abattus ! La clé de la réussite c'est que, contrairement aux succursalistes, le modèle de la coopérative réunit des entrepreneurs qui sont responsables de leur magasin et qui réagissent comme tels : ils cherchent des solutions, ils communiquent et échangent entre eux. L'un d’entre eux a mis au point la prise de rendez-vous et ensuite c'est tout le groupe qui a repris son système !

C'est la force du modèle coopératif ?

On dit souvent - et c'est même un peu « une tarte à la crème » - que c'est un mode de gouvernance résilient. En réalité, lorsque vous êtes soumis à un choc de l'ampleur que nous avons connue avec le Covid, je dirais que c'est un mode de gouvernance « anti-fragile » qui sort renforcé de la crise. Lorsqu'il y a un choc et que vous êtes fragile, vous en sortez encore plus fragilisé. Si vous êtes résilient, vous revenez à la situation d'avant. Mais si vous êtes dans la coopération, vous en sortez plus fort. C'est clairement le sentiment qui est le nôtre après ces deux années inédites.

Chiffres clés

1450 magasins
4 enseignes (3 dans l'optique, 1 dans l’audition)
6 000 opticiens
1,1 milliard de chiffre d'affaires en 2019
1 site industriel