Christian Caille, PDG de Delta Meca
SCOP

Christian Caille

PDG de Delta Meca

Innover avec la Scop d’amorçage

Delta Meca est la première Scop* d’amorçage créée en France. Cette possibilité, qui permet aux salariés d’une entreprise de s’associer en douceur au capital de l’entreprise pendant un maximum de 7 ans, tout en étant majoritaires en voix dès le démarrage, a été ouverte par la loi sur l’économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014 et par le décret d’application de janvier 2015. Delta Meca est une société spécialisée dans l’usinage de pièces en urgence (secteurs ferroviaire, nucléaire ou offshore), située dans la zone industrielle du Couëron, près de Nantes. Elle s’était créée sous forme classique en 2008 (avec trois salariés), avant de se transformer en Scop le 22 mai 2015, lors d’une assemblée générale constitutive. Elle compte près de 40 salariés, qui ont tous vocation à devenir associés, pour un chiffre d’affaires de 4 millions d’euros.

« Nous pensons que l’entreprise peut être un lieu d’émancipation pour les ouvriers. »

Avec la Scop d’amorçage, nous cumulons les innovations ! Nous avons décidé de nous transformer en Scop pour des raisons éthiques et de gouvernance et pas parce que l’entreprise se portait mal. Alors que la loi ESS s’occupe surtout du financement, nous avons placé les questions de gouvernance au premier plan. Depuis 2008, avec Mireille Bréhéret, directrice et co-fondatrice de Delta Meca, nous avons une vision humaniste de l’entreprise et du management. Nous pensons que l’entreprise peut être un lieu d’émancipation pour les ouvriers. A la création de l’entreprise, il y a sept ans, nous avons mis en place l’actionnariat salarié, un an après l’intéressement, encore un an plus tard, un plan d’épargne entreprise. Cette épargne sert aujourd’hui aux salariés à devenir associés de l’entreprise sans avoir à investir des sommes gigantesques.

Pour financer l’achat de parts sociales (5 000 euros par salarié), nous avons été force de proposition. En dehors de l’utilisation de l’épargne salariale, nous avons décidé que l’année comptable en cours ferait office de première année en Scop : ainsi, il y aura déjà du partage pour les salariés, ce qui les aidera à acheter des parts. Par ailleurs, nous avons mis en place un crédit vendeur entre les deux associés que nous étions et les salariés pour leur éviter de passer par les banques. Nous avons essayé de trouver la solution la plus confortable pour les salariés, dans le rachat progressif d’une entreprise qui avait pris de la valeur. Par ailleurs, la Région Pays de la Loire a fait bénéficier les salariés du dispositif Capital Scop, qui double leurs apports personnels au capital, soit 10 000 euros au total. Nous venons tous les deux du monde des PME industrielles, avec une bonne connaissance de la gestion et de la comptabilité, mais nous avons été aidés pour tous les aspects juridiques par des experts et par l’Union régionale des Scop.

« La Scop d’amorçage a une logique de transmission saine. »

La Scop d’amorçage a aussi une logique de transmission saine. A l’issue des sept ans, nous devrions tous les deux être proches de la retraite et nous voulions assurer la pérennité d’une entreprise qui marche bien, mais qui peut être confrontée aux problèmes que connaissent les PME industrielles depuis 30 ans. On veut aussi montrer aux jeunes qu’on peut travailler dans ces types de métiers et vivre bien, avec de l’autonomie et de la montée en compétences. On protège l’entreprise et l’emploi local, en transmettant des savoirs. La Scop, et sans doute encore plus la Scop d’amorçage, a un côté pédagogique par rapport au temps de l’entreprise.
Nous avons aussi été innovants dans la gouvernance. Tous les salariés sont en voie de devenir associés, quelle que soit leur situation. Parmi eux, il y a Benoît, qui a été embauché alors qu’il était encore mineur : ses parents se sont portés caution pour l’achat de parts sociales. Il y a également Anthony, qui a un handicap intellectuel et à qui on a proposé de devenir sociétaire. Nous avons aussi parmi les associés deux ouvriers venus de Roumanie, pour qui le sociétariat est un signe d’intégration. Tous sont des co-entrepreneurs. Lors de la première assemblée générale, cinq salariés ont été élus dans les instances dirigeantes ; il y a sûrement parmi eux les dirigeants de demain. Nous allons les soutenir dans leurs parcours par des formations. Et depuis la transformation, nous attirons aussi des jeunes ingénieurs, sensibles à notre démarche.

La Scop d’amorçage a été très médiatisée. Dire qu’une entreprise militante est possible, que le monde ouvrier fonctionne toujours bien, c’est aussi un de nos objectifs. Beaucoup de monde s’est montré intéressé par notre expérience : nos donneurs d’ordre (à peu près 160 entreprises clientes), des collectivités locales et des entreprises qui pensent à se transformer (une cinquantaine de dossiers sont à l’étude dans toute la France). Ce qu’on peut leur dire aussi, c’est que ça marche, puisqu’on suit notre prévisionnel ! Notre année a été aussi marquée par le déménagement dans un bâtiment plus grand toujours à Couëron, un financement rendu possible par le réinvestissement de notre chiffre d’affaires dans l’outil de travail. »

Janvier 2016

*Scop : Société coopérative et participative